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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 09:02

propos_de_politique_L25.gifNos fascistes ont le projet, qu'ils ne dissimulent nullement, de dompter la foule par des formations militaires, mais sans baïonnettes ni mitrailleuses. Cette guerre est neuve ; elle se fait sous l'œil de la police, qui théoriquement est impartiale, mais qui, dans le fait, penche toujours vers l'ordre. Ce simple penchant se changera en une passion vive si la police est vivement attaquée ; alors entreront en jeu les forces militaires, et l'insurrection sera vraisemblable­ment surmontée, parce qu'elle sera insurrection. Tous, il me semble, dans les partis avancés, reconnaissent que ce n'est plus le temps des barricades. Si j'accorde cela, je vois alors en quoi consiste le piège fasciste. Il est dans cette tactique facile, de mettre la police avec soi. Et pourquoi réussit-il ? Parce que les éléments résistants veulent faire deux choses à la fois, vaincre le fascisme et faire la révolution.

Alain, nos fascistes ont le projet - 1934-

Pour télécharger gratuitement,les propos politiques d'Alain  cliquez ici 

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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 09:00

alain_1_.jpgL'effort démocratique est jeune ; il se laisse aisément détourner. On lui fait croire qu'il s'agit d'élire des chefs, et on lui montre aussitôt et bien aisément que cela est absurde. Dans le fait les chefs ne sont pas élus ; les ministres ne sont pas élus ; un directeur, un inspecteur, n'est pas élu. Qu'un élu, par ses moyens propres, arrive à gouverner ; aussitôt il échappe, par un traité plus ou moins secret avec l'organisation gouvernante, tant publique que privée, qui lui donne boules blanches et mention très bien. Après quoi, tout fier de ce brillant sujet, nous ne demandons qu'à le réélire les yeux fermés. Grande sottise, mais nous nous en guérirons. Nous avons à élire des résistants, c'est-à-dire des tribuns qui restent citoyens et qui prennent le parti des citoyens. Cette pré­cieuse espèce n'est pas rare, mais elle est aisément corrompue, soit par un concert d'éloges qui monte comme un encens des pouvoirs intéressés, soit par des moqueries, calomnies et injures, ce qui fait que l'existence du radical pur n'est jamais sans amertume. Que faire, sinon le payer d'amitié, de fidélité et de gloire ? À vrai dire, nous devrions garder toute notre acclamation pour lui, pour l'incorruptible, au lieu d'applaudir ceux qui ont réussi à nous duper. Mais patience. Le peuple cherche son chemin ; le troisième pouvoir, celui qui dit non, entre en scène ; et les pouvoirs meurent de peur ; cela on ne peut pas le nier. Le difficile est de jouer ce jeu avec modération et sans haine aucune ; pour y arriver, comprenons par les causes.

Alain Toute manœuvre politique veut un chef- Propos sur la politique 1934

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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 08:43

Alain-1-.jpgLa politique n'a guère changé et ne changera guère. C'est que la structure de l'homme est toujours la même ; et ce qu'en disait Platon est encore vrai aujourd'hui. Toujours une tête, et la même, et toujours apte aux mêmes combinaisons. Toujours une poitrine, et la même, lieu d'explosion, centre de colère et de courage. Quand le moteur s’emporte, la sagesse supérieure est réduite au rôle d'exécutant ; au mieux elle sauve les projets fous. C'est ainsi que le cœur usurpe, et nous l'éprouvons dix fois par jour. Convenons mainte­nant que le ventre porte et soutient tout cela, et qu'en un sens il gouverne tout ; car, faute de nourriture, il n'y a plus ni courage ni pensée pour personne. En sorte que la pensée, si souvent et si promptement dominée par la colère, doit aussi compter avec la peur, qui est du ventre.

L'homme étant ainsi, et pour toujours ainsi, nous n’en avons pas fini avec les difficultés, et jamais nous n'en aurons fini. Le projet le plus raisonnable n'ira jamais tout seul. L'économique, qui est du ventre, nous tiendra toujours serrés. Toujours le besoin plaidera contre l'enthousiasme ; si l'enthousiasme l'emporte, c'est l'enthousiasme alors qui plaidera contre la raison. Mais la raison, de son côté, ne peut gouverner passablement ses difficiles voisins que si d'abord elle les accepte, ainsi la pire injustice est celle de la raison, quand elle veut nier les deux autres personnages. Partant de là, vous dessinez aisé­ment, et assez exactement, trois figures d'injustes, celui qui n'est que besoin et appétit, celui qui n'est que fureur, et celui qui n'est que raison. Cette vue est très simplifiée, mais on peut partir de là. La connaissance de soi et des autres n'est pas tellement avancée.

 

D'où je puis deviner trois politiques, éternelles, et trois religions, éternelles. Trois politiques. Car il y a celle de la raison toute pure, qui abonde en projets, mais qui, par mépriser les deux autres, ne fait rien. Il y a la politique de la colère, qui fait toujours plus qu'elle ne veut, qui tue et se tue ; mais que d'honneur et que de bonheur ! Car il est beau d'entreprendre et d'oser ; cela enivre. Et enfin il y a une politique des intérêts, qui porte les deux autres. Ces trois partis, vous les distinguerez dans un syndicat, dans un gouvernement, dans un peuple, dans tout homme. La vraie paix est dans l'homme, et entre ces trois personnages tête, poitrine et ventre, dont il est composé. Et, parce que tous trois ont leurs fortes raisons, il faut négocier la paix, et non pas seulement la formuler ; et la négociation durera toujours.

 

Trois religions aussi, et qui toujours coexisteront. Car le ventre est superstitieux, et le fut toujours, et le sera. La peur adore les forces ; aussi les hommes ont-ils adoré tout, soleil, volcan, serpent, et le ventre même, ce qui est un genre d'ivresse redoutable, et une sorte de mystique ; non pas autrefois, mais aussi bien maintenant. Ici une grande obscurité, mais non pas impéné­trable. Et je dis religion, parce qu'en effet le cœur ni la raison ne sont absents jamais ; à ce niveau ils suivent, ils obéissent, ils ornent, ils éclairent diaboli­quement. Les faux dieux sont encore des dieux.

 

La religion de l'honneur est au-dessus, et c'est l'olympienne ; c'est celle qui couronne les braves. L'homme, à ce niveau, voudrait n'être que cœur ; mais il ne peut se démettre de lui-même ; aussi l'avidité ne cesse de déshonorer le courage, comme la raison ne cesse de mettre en preuve les effets de la puissance. Le conquérant veut être nourri ; le conquérant veut avoir raison. Cela s'entend souvent dans une même phrase. Et ce serait folie de vouloir que la religion de l'honneur soit morte, ou qu'elle soit autre. Ménagez, négociez.

 

La religion de l'esprit est la plus belle ; cela est de consentement. Elle rabaisse la puissance aveugle, et elle rabaisse la puissance humaine. Elle pèse d'autres valeurs, qui sont comme de l'or pur dans le commerce humain. Mais il est toujours vrai que s'il y avait des vertus pures, il n'y aurait plus de vertu. Le fait est qu'il faut manger, mais non pas trop, et qu'il faut partir en guerre pour quelque chose, mais non pas trop ; et enfin honorer l'esprit en ses pénibles victoires, car c'est là qu'il est esprit. C'est pourquoi l'équilibre, le difficile équilibre, est ce qui m'intéresse dans un homme ; et non point la bavure. Bavure d'amour, bavure de gloire, bavure de raison, c'est tout un. Et celui qui a mené passablement la difficile négociation avec lui-même, au lieu de sottement s'ignorer et de sottement s'adorer, c'est celui-là que j'enverrais négo­cier pour nos biens et nos vies. Nous y serions presque si l'on enseignait la structure de l'homme au lieu d'enseigner à la tête la structure de la tête, comme on fait si aisément et si inutilement.   Alain, La politique n’a guère changé - 1934

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 19:31

alain_1_.jpgRésistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l'obéissance, il assure l'ordre ; par la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l'ordre et la liberté ne sont point séparables, car le jeu des forces, c'est-à-dire la guerre privée, à toute minute, n'enferme aucune liberté ; c'est une vie animale, livrée à tous les hasards. Donc les deux termes, ordre et liberté, sont bien loin d'être opposés ; j'aime mieux dire qu'ils sont corrélatifs. La liberté ne va pas sans l'ordre ; l'ordre ne vaut rien sans la liberté.

Obéir en résistant, c'est tout le secret. Ce qui détruit l'obéissance est anarchie ; ce qui détruit la résistance est tyrannie. Ces deux maux s'appellent, car la tyrannie employant la force contre les opinions, les opinions, en retour, emploient la force contre la tyrannie ; et inversement, quand la résistance devient désobéissance, les pouvoirs ont beau jeu pour écraser la résistance, et ainsi deviennent tyranniques. Dès qu'un pouvoir use de force pour tuer la critique, il est tyrannique.

ALAIN

Propos d'un Normand, 4 septembre 1912

 

Lire aussi: Alain, les citoyens contre les pouvoirs

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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 08:15

Notre situation de citoyen est une situation de fait, que nous n'avons pas choisie, que nous n’aurions pas choisie ; car, dans les choses de peu, nous pouvons beaucoup ; mais, quand il faudrait modérer les terreurs, les colères, les impulsions du grand corps, nous ne pouvons presque rien. Nous passons d'heureuses années à parler comme il nous plaît et à rire des tyrans ; et puis, soudain nous tombons dans l'état d'esclave ; le sang coule, le canon tonne, contre nos intentions, contre nos cœurs, et par nos propres mains. La Révo­lution, qui fut autant un emportement qu'une pensée, nous a légué des droits immenses et des devoirs démesurés. Faudra-t-il boire sans fin ce mélange d'idéal, de gloire et de sang ? Ou bien le refuser une bonne fois et nous asseoir sur la terre, comme l'ermite ? Vie surhumaine ou vie humaine ? Mais nous voulons vivre une vie humaine ; et il est clair qu'il y faut de la ruse. L'animal se jette ; oui, même le tranquille bœuf se jette à tirer ; l'homme ne se jette point ; l'homme ruse contre tout ; la navigation est ruse ; l'industrie est ruse. On ne méditera jamais assez sur cette grande parole que l'homme ne triomphe de la nature qu'en lui obéissant. Pourquoi n'en serait-il pas de même devant cette nature politique qui est de bien loin la plus redoutable ? On ne se jette point dans le feu pour l'éteindre. Pourquoi se jetterait-on contre César ?

 

La ruse des gouvernants est vieille comme le monde. La ruse des gouver­nés est bien jeune. L'ambition des uns, la pudeur des autres, l'impatience de presque tous, cela fait une mer, tantôt maniable et mollement balancée, tantôt houleuse et grondante, tantôt furieuse, hurlante, brisante. Et il n'y a point de port. De la naissance à la mort, tout homme doit vivre sur ces flots-là. Sans s'y fier jamais, il doit céder beaucoup. J’entends que l'on me dit : « Aimer beau­coup ; surtout aimer. » je comprends assez que cette mer politique est toute humaine, toute faite de mes semblables, en partie même de ma propre substance. Mais quand je la concevrais toute comme ma propre substance, d'après un sentiment bien fort, et, au fond, religieux, n'ai-je point la tâche de me gouverner moi-même et de ruser avec moi ? La moindre colère, tempête proche et intime, me l'apprend assez. Tout n'est pas bon dans ce qui est moi ; pourquoi tout serait-il bon dans ce grand moi ? Pourquoi adorerais-je dans les autres, dans la masse des autres, ce que je n'adore point en moi ? Il faudrait soutenir que tout est infaillible en cette société, tout bon, tout divin, comme dans les convulsions de la Pythie.

 

Non pas tout bon ; mais j y verrais plutôt une nécessité inférieure, comme sont le manger et le dormir, comme sont le défrichement qui est destruction, la chasse et la pêche, conquêtes sans pitié, et même la défense, si promptement inhumaine. Personne n'a jamais dit qu'il était beau de lier un fou, ou peut-être de le tuer si l'on ne peut mieux. Je ne vois pas pourquoi on s'enivrerait de défense. L'enthousiasme ici ressemble à ces mouvements désordonnés qui dépassent le but, comme on voit dans un pugiliste maladroit. Mais, au rebours, je ne vois point qu'il soit raisonnable de tout laisser aller, refusant cette vie inférieure qui porte l'autre.

 

On me veut prendre dans le dilemme abstrait. Ou bien refusez toute violence, et laissez-vous mourir ; ou bien résignez-vous, et acceptez les mou­vements de force comme condition de la vie. On veut me prendre, mais je m'échappe.

 

Je prétends limiter et calculer au mieux les mouvements de force, résister à l'emportement, me garder de convulsion et de fureur. Ruser enfin avec le corps social comme je ruse avec mon propre corps. Ne sais-je pas bien de quelle ridicule façon mon propre corps débrouillera la serrure, si je le laisse faire ?
Propos de politique -Titre XI 1934
















Télécharger Alain et la politique 1934


Fondamental
L'histoire de l'esclavage
Déclaration Universelle des droits de l'Homme
Loi de séparation des églises et de l'Etat
Histoire du droit de vote
J'accuse d'Emile Zola

Qui sommes nous?
L'Observatoire de la démocratie

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9 septembre 2007 7 09 /09 /septembre /2007 10:02

Sagesse est fille de l'Art et singulièrement de l'art musi­cal : tel est le thème central de l'esthétique d'Alain, le moraliste. La musique ne veut point notre plaisir et notre diver­tissement, mais notre accomplissement, notre coïncidence avec nous-même : elle ne veut point nous flatter, mais nous redresser. Vivant dans un commerce quotidien avec la mu­sique, Alain l'entend chanter l'homme essentiel et vrai­ment humain, la volonté triomphante, la liberté heureuse ; il en fait la nourriture de son âme, sa règle et son style de vie, afin qu'elle le modèle à la ressemblance de lui-même. L'homme, selon Alain, ne pourrait s'accomplir seul, inven­ter tout l'homme dans le cours d'une vie : l'art lui épargne les lenteurs et les erreurs dans la recherche de lui-même, lui donne d'une manière immédiate la maîtrise, la posses­sion de soi. En l'œuvre d'art il contemple l'image vraie de l'homme, par elle il devient ce qu'il est, en recevant pour ainsi dire gratuitement cette forme humaine que l'artiste a conquise avant lui - pour soi et pour lui - et que l'oeuvre d'art préserve. L'art et surtout la musique est plus proche de nous, plus semblable à nous que nous-même ; ainsi est-elle avant tout notre grande éducatrice : l'école de la volonté et du sentiment, du corps et de l'âme, par elle joints et unanimes, et de tout l'homme, trop humain, auquel elle restitue sa forme humaine...Lire la suite

(“Hommage à ALAIN”, Nouvelle Revue Française, septembre 1952, pp. 111-124 Mis en ligne par Gisèle Brelet - Source association les amis d'Alain Alinalia)

 

 Alain, la culture et l'anticulture - Propos d'Alain sur la démocratie- Propos d'Alain sur "les fins et les moyens"- Propos d'Alain sur la technocratie - Qui était Alain?- Alain, le pouvoir et les citoyens

 

 

 

 

 

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29 avril 2007 7 29 /04 /avril /2007 06:56

Mise en ligne de la conférence de Olivier Reboul, Alain philosophe de la culture (PDF - RTF). Extrait des actes du colloque "Alain philosophe de la culture et théoricien de la démocratie" de Cerisy-la-Salle, 1974- Source Association des amis d'Alain Mars 2007

"Il sera surtout question d'anti-culture. Car la théorie d'Alain sur la culture est bien connue. Alain n'est pas seulement un philosophe - au sens de quelqu'un qui réfléchit de façon systématique et radicale - mais un mystique de la culture. Jouant sur l'étymologie, il n'hésite pas à faire de la culture le culte de l'homme libre, destiné à remplacer le catholicisme tout en en gardant le côté positif et humain. La vraie culture n'est donc pas un ornement de l'esprit, ni un bagage encyclopédique, mais la piété, l'admiration, l'adoration des "monuments humains" : du langage, des oeuvres d'art, des textes littéraires, des conquêtes scientifiques, grâce auxquels l'homme est devenu humain. Elle est l'accès de chacun à l'humanité par les "humanités". Cette mystique de la culture est à notre époque ce qui fait le plus question. Tout se passe comme si nos contemporains avaient découvert, non sans logique, que le culte de l'humanité, tel que le prône Alain, que la culture est aussi irrationnelle, oppressive, aliénante, que la religion qu'elle est censée remplacer. Cette violence avec laquelle Alain, dans sa jeunesse, dénonçait le catholicisme, nos contestataires la retrouvent, intacte, pour déboulonner la culture, ce "culte" qui, dans notre civilisation, a momentanément survécu au naufrage de tous les cultes. Je vois pour ma part dans cette contestation trois courants bien distincts, mais qui convergent tous trois vers un même rejet de la culture : un courant politique, qui la dénonce comme répressive et aliénante ; un courant pragmatiste, qui la considère comme un bagage inutile et lui oppose une formation technique spécialisée ; un courant pédagogique, enfin, qui rejette le culte des modèles au nom de la spontanéité et de la créativité de l'enfant. Mon propos n'est pas de reconstituer la doctrine d'Alain sur la culture mais de la situer face à ces trois courants. Peut-être arriverons-nous ainsi à mieux le comprendre, et sans doute à mieux nous comprendre. Lire ou charger le document en pdf 

 

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16 août 2006 3 16 /08 /août /2006 08:14

Le 15 Juin 1934, Alain adresse un "message au peuple" en qualité de citoyens et "homme de troupe...". Il s'adresse aux jeunes, aux "impatients de lois nouvelles", aux "Agités", aux "démolisseurs du Parlement", aux "affamés de scandales", etc...Extrait: Il est clair qu'il faut éveiller l'opinion, et lui faire voir ce qui arrive; je crois même, pour ma part, que l'opinion peut tout ici, en bien comme en mal, et que la catastrophe ne tarderait pas si chacun se disait à soi même:" Ils l'attendent tous, le maître, et presque tous l'acclament déjà. Que puis-je?" C'est ainsi que même parmi nos amis, il n'en manque pas qui disent "Liberté, égalité, vieilles idoles, et usées. La jeunesse unanimement veut autre chose, qui soit fort, qui soit prompt, qui se fasse obéir". Or je vous annonce que si vous voulez cela, vous l'aurez. Et peu importe qui se sera, parce que le despotisme n'a qu'une politique. A vous donc d'examiner.Si c'est la formation militaire que vous voulez, vous l'aurez (Une!Deux!); t vous serez bien surpris que la fin première d'un pouvoir fort, c'est de se conserver lui-même. ...et pour Loi suprême, le salut de la Nation. Cela est vieux comme le monde....Lire l'Appel au peuple d'Alain,

Contacter et/ou  adhérer à l'association des amis d'Alain

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23 juin 2006 5 23 /06 /juin /2006 15:27

 

Qu'est-ce que la démocratie ? Propos du 12 juillet 1910 (Propos sur les pouvoirs, p. 213). Si l'on s'en tient à l'étymologie, si l'on fait de la démocratie l'exercice du pouvoir par le peuple, on ne dit pas encore par là quel est le pouvoir exercé. S'agit-il de faire la loi ? Mais le peuple ne peut savoir tout ce qu'il est nécessaire de connaître pour faire correctement la loi. S'agit-il d'exécuter la loi ? On ne saurait trouver meilleur moyen d'instaurer l'anarchie. S'agit-il de désigner les représentants ? Pourtant si ce pouvoir ne consiste qu'à déposer un bulletin dans l'urne quand on y est appelé, cela ne garantit évidemment pas que l'exercice du pouvoir législatif et exécutif se fera pour le peuple. S'agit-il d'instaurer entre tous la plus parfaite égalité des droits en même temps que celle des charges ? Mais cela ne suffit pas à écarter l'hypothèse des charges maximales jointes aux droits minimaux. A mesure qu'il discute les différentes définitions imaginables de la démocratie Alain s’éloigne des courants politiques qui animaient et continuent d'animer la société française, et se rapproche de manière imprévue de deux philosophes qui se sont principalement exprimés sur le terrain politique, à savoir Rousseau d'un certain point de vue et surtout Machiavel. Car l'idée du contrôle et plus précisément de l'interpellation sur laquelle il s'arrête illustre fort bien la thèse d'une souveraineté populaire complètement séparée des pouvoirs et exerçant sur eux une constante pression, telle qu'on la trouve chez le genevois, et encore mieux celle d'un tribunat, troisième et indispensable organe de pouvoir après les Consuls et le Sénat dans la République telle que la conçoit le florentin.  Si l'on s'en tient à l'étymologie, si l'on fait de la démocratie l'exercice du pouvoir par le peuple, on ne dit pas encore par là quel est le pouvoir exercé. S'agit-il de faire la loi ? Mais le peuple ne peut savoir tout ce qu'il est nécessaire de connaître pour faire correctement la loi. S'agit-il d'exécuter la loi ? On ne saurait trouver meilleur moyen d'instaurer l'anarchie. S'agit-il de désigner les représentants ? Pourtant si ce pouvoir ne consiste qu'à déposer un bulletin dans l'urne quand on y est appelé, cela ne garantit évidemment pas que l'exercice du pouvoir législatif et exécutif se fera pour le peuple. S'agit-il d'instaurer entre tous la plus parfaite égalité des droits en même temps que celle des charges ? Mais cela ne suffit pas à écarter l'hypothèse des charges maximales jointes aux droits minimaux. A mesure qu'il discute les différentes définitions imaginables de la démocratie Alain s’éloigne des courants politiques qui animaient et continuent d'animer la société française, et se rapproche de manière imprévue de deux philosophes qui se sont principalement exprimés sur le terrain politique, à savoir Rousseau d'un certain point de vue et surtout Machiavel. Car l'idée du contrôle et plus précisément de l'interpellation sur laquelle il s'arrête illustre fort bien la thèse d'une souveraineté populaire complètement séparée des pouvoirs et exerçant sur eux une constante pression, telle qu'on la trouve chez le genevois, et encore mieux celle d'un tribunat, troisième et indispensable organe de pouvoir après les Consuls et le Sénat dans la République telle que la conçoit le florentin. On répète partout en France, aux États-Unis et dans quantité d'autres pays que nous vivons en démocratie, que notre pays est une démocratie, tandis que quelques autres se voient refuser ce même label. " Dans nos démocraties occidentales... " ressasse-t-on avec une satisfaction incantatoire, existe et fonctionne telle ou telle institution, par exemple un parlement élu au suffrage universel, ou une presse dont la liberté est garantie par la constitution. Par ces mots ces pays ou leurs représentants se décernent à eux-mêmes un brevet de haute civilisation politique, un brevet non seulement de supériorité mais d'achèvement, de perfection en matière d'institutions. C'est en fonction de cette certitude proclamée d'être les meilleurs que les gouvernements de ces pays, avec l'appui et la complicité de leurs peuples, prononcent magistralement la condamnation de tel autre gouvernement, isolent son peuple, interdisent par un blocus tout commerce avec lui, voire décident au nom de ces nobles idéaux politiques de lui faire la guerre, de lui expédier une monstrueuse armada et de l'écraser sous les bombes. On se dépêchera bien entendu de le soumettre à un gouvernement fantoche, préalablement proclamé opposition démocratique, et l'on sanctifiera l'invasion sous le nom de croisade pour la démocratie. Cette prétention serait simplement risible si elle ne signifiait mort, destruction et misère. La démocratie peut-elle être imposée de l'étranger ? Et réciproquement l'étranger qui impose son intervention peut-il être démocratique ? La vie politique internationale du XXIe siècle comme celle du précédent rend manifeste l'intérêt d'une réflexion sur la nature de la démocratie et son aboutissement dans une définition qui permette d'y voir clair.

 

 

 

 

Mais la tâche est délicate car il y a manifestement une grande difficulté à déterminer avec précision en quoi consiste l'exercice du pouvoir par le peuple. Si l'on conçoit aisément de quelle manière le pouvoir peut être exercé par un seul, si l'on conçoit encore mieux de quelle manière il peut être exercé par un petit nombre, les modalités selon lesquelles va pouvoir l'exercer le peuple tout entier quant à elles sont obscures. C'est pour échapper à ce problème qu'on peut être tenté de définir la démocratie non comme l'exercice du pouvoir par tous, mais comme son exercice au bénéfice de tous. Comme s'il était bien entendu que l'exercice du pouvoir en faveur du peuple et non de telle minorité ne pouvait être le fait que du peuple lui-même. Que signifie cependant que le pouvoir doit être au service de tous ? Il est au service d'une minorité dès lors que les droits des hommes et leurs charges sont inégaux. L'ancien régime en France a dérivé au cours des siècles vers une société caricaturale dans laquelle les droits étaient pour les uns et les charges pour les autres, une société où des parasites monstrueux pompaient tout le sang de la classe active. C'est bien entendu la raison pour laquelle la République issue de la Révolution a fait de l'égalité l'un de ses premiers mots d'ordre. Je ne discuterai pas de la question de l'égalité, qui mériterait pourtant d'être développée longuement. Car le mot qui en est dérivé, égalitarisme, exprime de manière transparente l'idée qu'il y a dans l'égalité quelque chose d'éminemment critiquable. Le débat sur ce point peut-être évité dans la mesure où Alain évoque à la fois celle des droits et celle des charges. Je tiendrai pour admis que l'égalité des droits n'a pas sens sans celle des charges. Je croirai même hors de doute que l'égalité n'est pas l'identité : de la même manière que des charges égales ne sont pas identiques, des droits égaux ne sont pas non plus identiques. A supposer donc que l'égalité soit requise par la démocratie, elle n'est pas suffisante pour la définir. Car la très vive et très légitime critique qui est souvent adressée à l'égalité est qu'elle conduit à un nivellement par le bas ou qu'elle en implique le risque. Et l'on trouvera effectivement sans peine des pays dans lesquels le pouvoir ne reconnaît aux citoyens qu'une petite partie des droits qui sont très justement estimés indispensables ailleurs. Si à côté d'un droit à la santé, impliquant la gratuité des soins y compris les interventions chirurgicales les plus lourdes, à côté d'un droit à l'éducation, autorisant l'accès sans discrimination aux études supérieures les plus longues, n'existe pas une liberté de pensée permettant à chacun d'exprimer son point de vue, même au prix d'une sévère critique de l'action gouvernementale, et de le faire selon des modalités qui lui permettent d'être entendu de tous, on estime à juste titre n'être pas dans la démocratie. Alors même que les droits sont identiques pour tous, l'absence de droits, ou simplement la mutilation de l'un d'entre eux tenu pour essentiel, est un vice rédhibitoire. On ne saurait aucunement trouver la démocratie dans l'égalité des droits ramenés à leur degré zéro, ni même simplement ramenés à un degré inférieur à celui qu'on croit possible et qu'on revendique. Il n'y a de démocratie que dans et pour une croissance des droits. Elle est incompatible avec la régression économique et sociale que subissent les pays soumis à une domination impérialiste, parce que la corruption par voie de conséquence y est telle qu'elle substitue au moindre droit un privilège. Le sous-développement est une notion très relative : la démocratie était possible à Athènes au Ve siècle, elle ne l'est encore qu'en de rares pays au XXIe. Puisque l'égalité peut s'accompagner des lois les plus répressives, on peut être tenté de définir la démocratie par l'absence de loi, c'est-à-dire par l'absence de contraintes pesant sur l'activité de chacun pour l'empêcher de faire ce qu'il peut désirer. Il n'y a alors pas non plus de gouvernement, pas d'Etat, ni même de société. C'est l'anarchie au sens où aucun pouvoir n'existe pour dicter à personne ce qu'il ne désire pas. Si les hommes étaient des dieux ils pourraient vivre dans de semblables rapports, comme le conclut Rousseau de son examen de la démocratie (du Contrat social, III, 4). Et encore faudrait-il qu'ils ne soient pas semblables aux Olympiens, parmi lesquels règne la discorde, comme la lecture d'Homère permet de s'en convaincre. Ces dieux-là sont trop humains, ils subissent les passions : amour, jalousie, colère, haine, etc. Le malheureux Héphaïstos découvre dans son lit Aphrodite et Arès enlacés... Ce qui leur manque à tous trois c'est la sagesse. Pour les extraire des rapports passionnels où ils se sont mis, il faudrait un gouvernement, une autorité, un pouvoir que même Zeus n'a pas. Aussi voit-on que dans l'Olympe, derrière la joviale façade des banquets, règne l'anarchie, c'est-à-dire un désordre tel qu'il n'exclut aucune atteinte portée à autrui ( Od yssée, Chant VIII, 267-369). Les dieux entre eux n'échappent au meurtre que parce qu'ils sont immortels ! A travers le portrait qu'il fait d'eux le poète a bien jugé les hommes ; ils sont incapables de vivre sans lois, donc sans un pouvoir gouvernemental qui les contraigne à les appliquer. La définition que l'on pourra donner de la démocratie devra s'accommoder de cette nécessité. Puisqu'elle ne saurait consister ni dans l'égal bénéfice du pouvoir, ni dans son absence, il faut bien en venir à la question de son exercice. Quelles sont les modalités de l'exercice du pouvoir par le peuple ? Toute la vie politique du XIXe siècle et de la première moitié du XXe a été agitée par la question du suffrage universel. Certains gouvernements l'ont octroyé, d'autres l'on refusé, les seconds n'étant pas forcément pires que les premiers. La première République par exemple ne le reconnaissait pas et imposait un cens ; à l'opposé le second Empire en faisait le ressort de ses plébiscites. Les luttes politiques ne purent abandonner cette question que lorsqu'on s'avisa qu'il était impossible que le suffrage universel exclût la moitié de la population. Cependant, universel ou pas, le droit de suffrage est encore loin de constituer le summum de la démocratie. Exprimer un choix entre des réponses, entre des programmes, entre des hommes, ne constitue pas encore un rôle politique actif. Car même dans le meilleur des cas, où l'électeur n'est pas invité au plébiscite, ni simplement à prendre un nom au lieu d'un autre, même s'il est invité à trancher entre deux orientations politiques, il n'y est encore qu'invité par le pouvoir. C'est-à-dire qu'il ne se prononce que quand on le lui demande et que réciproquement il n'a rien à dire tant qu'on ne le lui demande pas. Se rendre docilement aux urnes tous les cinq ans, et même tous les ans puisque alternent les élections des représentants à différents niveaux, est-ce en cela que consiste la citoyenneté ? Les âmes bien-pensantes font tout un battage sur l'abstention. Dans certaines élections elle dépasse, et même de beaucoup, 30 % des inscrits. On a raison de dire qu'il est malsain de délaisser l'usage d'un droit qui n'a été acquis qu'au prix de durs combats politiques menés par les générations précédentes. Car il est vrai qu'il n'y a pas de démocratie s'il n'y a pas de consultation. Mais la démocratie ne s'achève pas avec la consultation. Napoléon III a été élu au moins " Prince-Président ", Hitler a été élu. L'origine élective du pouvoir, son origine populaire même, ne suffit pas à le rendre démocratique. Alain fait l'amusante fiction d'un Pape qui serait élu au suffrage universel. Comme on le sait, ce pontife est irresponsable, comme tout chef d'Etat : ce qui signifie qu'on n'a pas le droit de lui demander de répondre de ses actes, car sa fonction le place nécessairement au-dessus de toute accusation. Il n'y aurait en effet plus de président de la république, il n'y aurait plus même de présidence et par conséquent pas davantage République si le chef de l'Etat pouvait être traduit devant un tribunal, donc s'il pouvait être condamné par lui, par exemple pour détournement de fonds publics au bénéfice de ses amis politiques ou de sa campagne électorale. Tant qu'il détient ce mandat, l'existence de la République exige qu'on ne puisse l'accuser. Mais enfin au terme de son mandat il pourra lui être demandé de rendre des comptes : politiquement lui et ses amis pourront être désavoués par les électeurs, civilement il retrouvera sa responsabilité. Mais le Pape lui est comme Staline : il est infaillible. C'est-à-dire que ses actes sont inspirés d'en haut, puisqu'il est le Guide suprême, dont toutes les pensées sont fixées sur Dieu ou sur le bien public, expressions politiquement équivalentes. Dans ces conditions, malgré l'élection au suffrage universel, il n'y a pas de citoyenneté. Si la démocratie n'est pas dans l'origine populaire du pouvoir, elle est dans son contrôle. La démocratie, c'est l'exercice du contrôle des gouvernés sur les gouvernants. Non pas une fois tous les cinq ans, ni tous les ans, mais tous les jours. Non pas celui qui laisse en place le politicien désavoué, mais celui qui le chasse. " Ce qui importe, ce n'est pas l'origine des pouvoirs, c'est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants ". J'ajoute que pas plus que ça n'en est l'origine, ça n'en est l'exercice. Il ne revient pas au peuple d'exercer le pouvoir, ou du moins il ne lui revient pas d'exercer d'autre pouvoir que le contrôle des pouvoirs. Il ne lui revient pas d'exercer le pouvoir de faire la loi, ni celui d'exécuter la loi ; mais il lui revient de contrôler l'un et l'autre. La démocratie n'est donc pas opposable en tant qu'exercice du pouvoir par le peuple à l'oligarchie en tant qu'exercice du pouvoir par une minorité, ni à la monarchie en tant qu'exercice du pouvoir par un seul. En ce sens-là il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de démocratie : il n'est possible au peuple en corps ni d'appliquer la loi, ni de l'édicter. Le premier de ces pouvoirs est par essence monarchique, le second par essence oligarchique. Mais il n'y a pas plus de monarchie ni d'oligarchie que de démocratie. Ce qui existe ce sont seulement différents équilibres entre pouvoir d'un seul, pouvoir d'un petit nombre et pouvoir du peuple. Les institutions réelles sont toujours plus ou moins monarchiques en même temps qu'elles sont toujours plus ou moins oligarchiques et plus ou moins démocratiques. Il y a des équilibres plus ou moins favorables au peuple. Ce qu'on couvre du nom de démocratie, tout en conservant une part de monarchie et une part d'oligarchie, réalise l'équilibre le plus possible favorable au peuple. Qu'il faille de la monarchie dans les institutions politiques, c'est tellement évident que lorsqu'il n'y a pas de monarque, ou lorsqu'il est réduit à un rôle représentatif, il y a un premier ministre ou un président la République, qui préside le conseil des ministres. Même si les différents domaines d'intervention sont partagés entre différents responsables, les décisions que prennent ceux-ci doivent pourtant être harmonisées entre elles pour faire une politique. L'image de la navigation, pourvu qu'on se souvienne qu'elle n'est jamais paisible, peut-être reprise ici : on comprend qu'il faut un capitaine pour imposer une route, pour affronter les tempêtes, pour vaincre les ennemis et ramener le navire au port. L'auteur préfère cependant l'image de la bataille afin de faire mieux sentir la part qui revient au chef. Car s'il importe naturellement que chacun à son poste fasse ce que tous attendent de lui, il est clair qu'il faut aussi à chaque instant donner des ordres nouveaux tenant compte de l'évolution de la situation et en particulier du mouvement des ennemis. Cela ne peut se faire dans la palabre permanente ; il faut que la décision suive immédiatement le coup d'œil. C'est pourquoi chez les Romains, observe Machiavel (Discours, Livre Ier, chapitre 2), " on avait bien moins banni l’autorité royale de Rome que le nom de roi ". En chassant les rois qui les tyrannisaient, ils n'ont pas tant supprimé la fonction monarchique que substitué aux monarques héréditaires irresponsables des monarques, ou plus exactement dyarques puisqu'ils étaient deux, soumis à un contrôle régulier et fréquent, puisqu'ils n'étaient élus que pour un an. Si le partage de l'exécutif entre les deux Consuls présentait encore le risque d'un désaccord, les Romains le surmontaient en cas d'urgence en instituant pour six mois une dictature. Quant au pouvoir de faire des lois, il exige une compétence, un savoir. Tout le monde n'a pas les compétences nécessaires pour faire une bonne loi. L'impôt sur la fortune par exemple est une mauvaise loi. Je ne veux nullement dire que l'intention qui le guide soit mauvaise, que ses promoteurs étaient animés par des intentions détestables. Mais tout le monde observe que faute d'avoir été discuté par des spécialistes, il aboutit à des résultats qui ne sont pas ce qu'on en espérait, voire qui sont contraires à ce qu'on en espérait. En tant qu'impôt il a un rendement négligeable, parce que la fortune surtaxée cherche ailleurs des conditions plus favorables. Mais en tant qu'agent économique il est bien pire : il n'est pas seulement nul, il joue un rôle complètement négatif en provoquant l'expatriation du capital et en plaçant le pays en situation coloniale. Il ne suffit donc pas de dire que les riches doivent payer, d'énoncer dans la loi l'obligation qui leur est faite de payer des contributions proportionnelles à leur richesse, pour établir la justice sociale. Dans la pauvreté nationale il n'y a pas plus de justice sociale que de démocratie. Promulguer une loi n'est donc pas seulement une affaire de volonté politique, c'est aussi une affaire de savoir. Il y a un savoir sur la question du rendement de l'impôt, comme il y a un savoir sur la question de contagions (celle du sida par exemple), comme aussi sur la question des assurances (après des catastrophes exceptionnelles par exemple). Le législateur ne peut donc pas être constitué de gens sans savoir, ni de gens dont le savoir serait limité à certains domaines. C'est pourquoi le pouvoir législatif est nécessairement oligarchique. L'argument du savoir est à vrai dire étranger à la pensée de Machiavel comme à celle de Rousseau, mais il est compatible avec celle du premier tandis qu'il ne l'est pas avec celle du second. S'il faut un président monarchique et une assemblée oligarchique que reste-t-il à la démocratie ? Comment un équilibre entre les institutions peut-il être favorable au peuple si ni le pouvoir exécutif ni le pouvoir législatif ne sont démocratiques ? Il y a un troisième pouvoir, qui n'est autre que le pouvoir de surveiller les pouvoirs, et qui peut s'exercer alors même qu'il n'est pas prévu par la constitution. Le troisième pouvoir n'est en effet assurément pas le pouvoir judiciaire, dont Montesquieu déclare lui-même qu'il est comme " invisible et nul " (l'Esprit des lois, Livre XI, chapitre 6). Est-ce le pouvoir de la presse ? Mais il y a plusieurs sortes de presses ; ou plutôt il n'y en a qu'une, car celle qui passe pour être la plus libre lorsque ses amis sont dans l'opposition devient soudain très docile lorsqu'ils arrivent au gouvernement. En fait la presse est trop souvent partisane et ne joue qu’épisodiquement un rôle qui la dépasse de beaucoup et que les citoyens seraient bien coupables de lui abandonner. Ils seraient d'ailleurs coupables aussi de ne pas défendre vigoureusement la liberté qu'a la presse de le jouer. Mais avec ou sans presse, et quelquefois contre elle, il appartient aux citoyens et à personne d'autre de faire vivre la démocratie en exerçant sur les pouvoirs législatif et exécutif une fonction de contrôle. Ce pouvoir s'exerce en critiquant, je veux dire en jugeant, et en disant ce qu'on pense, en le faisant entendre par tout moyen approprié. C'est un pouvoir que les citoyens ont à prendre seuls, sans qu'on les y invite, sans même qu'on le leur reconnaisse. Personne n'est fait citoyen par le roi, personne n'est fait citoyen par les spécialistes ; il n'y a de citoyen que celui qui se fait tel lui-même malgré les rois et les spécialistes. C'est ce que savait très bien faire le peuple romain, comme le rapporte Tite-Live dans son histoire ab Urbe condita. Tandis que le Sénat était l'organe exclusif des grandes familles patriciennes et défendait prioritairement l'intérêt de celles-ci, autrement dit de l'oligarchie foncière, et que la plèbe n'avait pas de participation au pouvoir législatif, tandis que les Consuls étaient choisis parmi les mêmes familles patriciennes et que la plèbe n'avait pas de participation au pouvoir exécutif, elle a cependant su se faire entendre. Elle a usé quand il le fallait de ces moyens, que nous appellerions aujourd'hui manifestations et grèves, jusqu'à obtenir satisfaction. Il lui est arrivé de refuser le paiement de l'impôt et l'enrôlement dans l'armée. L'historien rapporte même qu'en 494 la plèbe sortit en masse de la ville et se tint plusieurs jours sur le mont Sacré à trois milles à l'extérieur des murs, jusqu'à obtenir l'institution des Tribuns, qui devaient la représenter en exerçant un pouvoir d'accusation redoutable aux ennemis de la liberté. Mais c'est Machiavel et non l’historien qui tire les leçons politiques de ces événements remarquables, en déclarant tout crûment que les désordres auxquels se porte quelquefois le peuple romain et qui sont blâmés par les historiens au premier rang desquels se tient Tite-Live, qui en font un tableau épouvantable, étaient inspirés par le souci de la liberté et avaient pour principal effet de la sauvegarder et de l'accroître. Contrairement à beaucoup d'autres, l'auteur des Discours (Livre premier, chapitre 4) non seulement ne redoute pas les mouvements populaires mais voit en eux le ressort de la liberté. La République romaine a été démocratique dans l'exacte mesure où à un exécutif monarchique et à un législatif oligarchique elle a ajouté un contrôle populaire. S'exerçant d'abord sous une forme insurrectionnelle, il s'est ensuite institutionnalisé. De la même façon Alain considère que le pouvoir qu'il appelle Contrôleur, après s'être longtemps exercé par révolution et barricades, s'exerce aujourd'hui par l'interpellation. Dans la bouche des citoyens qui manifestent, ou sous la plume du journaliste qui rédige son quotidien Propos d'un Normand, c'est l'expression vigoureuse d'une critique, qui reproche à ceux qui se prennent pour des rois et à ceux qui se prennent pour des spécialistes incontestables de ne pas conduire les affaires du pays dans l'intérêt général. Contre les abus monarchiques de l'exécutif et contre les abus oligarchiques du législatif c'est un travail sans repos de la part des gouvernés pour conserver et étendre leur libertés. C'est une pratique à la fois facile et difficile : elle est facile parce qu'il n'y faut qu'un peu de courage, et difficile parce que le courage est ce qui manque le plus. Les citoyens ne s'y livrent qu'à regret, trop rarement et souvent trop tard. Mais il n'est personne d'autre qu'eux-mêmes à qui ils puissent légitimement reprocher la perte de leurs libertés. La démocratie n'est donc pas une forme de gouvernement, c'est une pratique tribunitienne, qui rétablit un juste équilibre dans la société entre les gouvernants et des gouvernés. Telle qu’Alain la définit, c’est la République machiavélienne.  

 Le cours d’Yves Dorion – Source Association les amis d’Alain  - consulter le site ? cliquez ici 

 

 

 

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8 mai 2006 1 08 /05 /mai /2006 15:35

Les fins et les moyens - Propos du 1er juin 1927 (Propos sur les pouvoirs, p. 126). Ceux qui détiennent le pouvoir de gouverner accomplissent une tâche difficile, à laquelle ils apportent un savoir, une compétence qui ne sont pas discutables. L'obéissance qu'ils exigent des citoyens est justifiée. Des arguments pertinents et solides montrent qu'il est mauvais de remettre en question les moyens de leur gouvernement. Cependant l'on voit aussi trop souvent que parmi ceux-ci se rencontrent les suspicions, les emprisonnements, les supplices, les massacres. Ceux qui les emploient ne manquent pas de payer des discours qui leur donnent raison. Des idéologues serviles sont prêts en toute occasion, même monstrueuse, à expliquer au bon peuple que c'était la seule chose à faire, qu'il n'y avait rien de mieux à faire. Car, disent-ils, le gouvernement sait mieux que quiconque ce qu'est la situation, quels y sont les risques, et quels en sont les remèdes. Afin de contrebalancer les interventions qui visent à justifier l'injustifiable, il faut que parmi les citoyens s'élèvent des voix qui disent non, qui plaident contre les pouvoirs. Il est du devoir d'une conscience citoyenne d'exprimer son refus des moyens criminels ou simplement injustes. Il lui revient aussi de faire en sorte que sa voix entraîne le plus grand nombre de concitoyens à les condamner ouvertement. C'est contribuer à donner force au souverain, qui ne délègue au gouvernement que les moyens et non la fin de son action. C'est lui permettre d'exercer sur le gouvernement un contrôle qui évitera la dérive à laquelle il tend naturellement de décider des fins, ou de les compromettre par l'usage de moyens qui leur sont incompatibles. Telle est d'ailleurs la tâche à laquelle se consacre Alain dans les Propos qu'il livre quotidiennement à la Dépêche de Rouen.Dans un texte célèbre (République, 488a-489d) Platon a comparé l'Etat à un navire : le peuple en est le patron, mais il a l'oreille dure et la vue basse. Autour de lui toutes sortes de jean-foutre se disputent le gouvernail, usent de la plus basse flatterie, voire même de la violence pour l'obtenir. Lorsqu'ils l'ont, ils font la fête avec ceux qui les y ont aidés, dilapident la cargaison et ne se préoccupent plus de conduire le navire, qui va à sa perte. On peut penser que ce tableau constitue une description de la démocratie, puisque le portrait qui est fait du patron est celui du peuple. La morale de la fable serait qu'il ne convient pas de laisser le peuple décider des affaires politiques, auxquelles il ne connaît rien et qu'il convient de renvoyer aux spécialistes. Toutefois son interprétation peut hésiter entre deux clés. La première verrait dans le patron l'assemblée populaire aussi incompétente que nombreuse, qui se laisse abuser par les démagogues qui vont prendre à sa place les décisions : dans ce cas ce serait effectivement le régime démocratique qui serait caricaturé. Il faudrait alors choisir une autre forme de gouvernement, l'aristocratique vraisemblablement, sous condition cependant que le critère sur lequel sont jugés les meilleurs soit celui du savoir. La seconde ferait du patron le peuple souverain, qui doit de toute façon désigner un gouvernement, qu'il soit démocratique, aristocratique ou monarchique, dont la compétence est de toute façon douteuse : dans ce cas la critique viserait une cible beaucoup plus large. La leçon serait alors différente et inviterait le citoyen conscient et responsable à faire entendre sa voix pour corriger les déviations et les abus du gouvernement. Le lecteur qui commence le Propos peut incliner vers la première solution ; mais lorsqu'il l'achève il a assimilé la seconde. La première remarque d'Alain est pour dire que la fable écarte un certain type de gouvernement. Effectivement il ne viendrait à l'idée de personne de faire gouverner un navire par un capitaine dont il n'aurait pas vérifié la compétence. C'est bien sur la base d'un savoir prenant pour objet la mer, les côtes, la météorologie, l'astronomie, le navire lui-même et la composition des forces qui assurent sa stabilité et son mouvement, que l'on peut prétendre le gouverner. Celui qui n'a pas fait les études nécessaires pour comprendre et maîtriser ces choses n'a aucun titre à être capitaine. C'est évidemment l'objection qu'on adresse au régime monarchique dans sa version héréditaire : on se trouverait capitaine par la seule raison que papa l'était déjà ! L'absurdité d'un tel système n'est plus à démontrer, Rousseau ayant dit ce qu'il fallait (Contrat social, Livre III, chapitre 6). S'il y eut des rois compétents, il y eut aussi sur le trône des enfants débiles (François II), des fous (Charles VI), des indifférents (Louis XV), et même des criminels (Richard III). Les défenseurs de la monarchie objecteront que le roi ne gouverne pas seul, mais aidé d'un Conseil et citeront de grands ministres qui ont accompli au service de leur maître de grandes choses au bénéfice de l'Etat. Sans doute, mais est-ce autre chose qu'un correctif apporté au principe du gouvernement héréditaire, plaidant au fond pour l'élection ? D'ailleurs dans le même temps où le monarque est héréditaire, les charges le sont aussi : le collecteur d'impôts reçoit sa charge de son père, le juge de même, le colonel aussi. Le but d'une charge ainsi transmise n'est nullement l'administration de l'Etat, mais l'enrichissement personnel. Au niveau subalterne comme au niveau suprême, la transmission du pouvoir de père en fils constitue pour le peuple une servitude. La reconnaissance du critère du savoir dans l'attribution du pouvoir en délivre. Sans doute, mais cela ne réjouit pas Alain pour autant. Le savoir est un autre moyen de tyrannie. Si l'on choisit le capitaine pour sa compétence, on ne peut plus le contester. Il a suivi les cours d'un Institut d'études politiques, il a obtenu un diplôme de l'Ecole nationale d'administration, il a déjà assumé des fonctions importantes dans l'exercice desquelles il a montré de l'efficacité : il a fait ses preuves. Peut-on permettre à n'importe qui de le critiquer ? A celui qui critique on répondra qu'il est un ignorant et qu'il ferait mieux de se taire. Il n'est pas possible que le simple citoyen, qui n'a pas suivi les mêmes Hautes études, comprenne toujours la pertinence de ses décisions. Mais, suggèrera-t-on, le chef ne pourrait-il expliquer son action ? Pourtant on ne peut légitimement demander qu'il fasse comprendre en quelques discours un savoir qui lui a demandé des années de travail. Ce serait nier la nécessité de ses études ; autant vaudrait dire qu'on peut s'improviser contrôleur des finances, diplomate ou chef des armées. Il faut donc renoncer à demander au gouvernement de faire œuvre pédagogique. Il faut se résoudre à admettre ses décisions sans les comprendre. Il faut même parier que l'immense majorité des citoyens ne les comprendra pas. Cela va très loin : c'est de la faculté de compréhension que dépend la légitimité d'un examen, d'une discussion, d'une contestation. Contester le pouvoir, c'est alors illégitimement se prétendre aussi compétent que lui, ce qui est d'une prétention insoutenable. Mais dès lors c'est la discussion elle-même qui est intolérable, et le simple examen qui est absurde, comme dans ce cas dont Spinoza par exemple se fait l’écho : " chez les Turcs la discussion même passe pour sacrilège et tant de préjugés pèsent sur le jugement que la droite raison n'a plus de place dans l'âme et que le doute même est rendu impossible " (Traité théologico-politique, préface), ou encore "si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n'est rien pour les hommes de si lamentable que la paix" (Traité politique, chapitre VI, §4). Toutefois si la critique est fauteuse d’échec, le grand Turc a parfaitement raison de trancher les têtes qui s'imagineraient avoir le droit de penser.

La France de la IIIe République n'en était sans doute pas là. Pourtant il faudrait considérer avec attention au XXIe siècle comme au précédent ce que signifie l'existence d'un débat politicien dans lequel l'opposition exerce contre le gouvernement un droit de critique permanente. Ceux qui prétendent substituer leur gouvernement à celui qui est en place n'ont-ils pas eux aussi suivi les Hautes études qui leur en donnent la compétence ? N'ont-ils pas été même les condisciples de ceux qui sont actuellement au pouvoir ? Sont-ils sans expérience ? On ne peut en tout cas pas le prétendre de ceux qui ont déjà exercé le pouvoir. Ils sont comme un capitaine, quelquefois renommé, embarqué sur le navire et mis au nombre des passagers. Le gouvernement peut-il permettre à d'anciens ministres de le critiquer ouvertement ? Peut il les laisser semer parmi les personnels de l'Etat le doute sur la justesse de sa politique ? Il ne peut les autoriser à insinuer au percepteur que les impôts ne sont pas justes, à l'ambassadeur que la paix n'est pas juste, au général que l'offensive n'est pas juste. Comment ces hauts fonctionnaires exécuteraient-t-ils correctement la manœuvre qui leur est demandée, s'ils ne sont pas persuadés qu'elle est la meilleure ou la seule possible ? Au moins dans certaines circonstances délicates les critiques de l'opposition relèvent-elles de la haute trahison.

Mais au fond y a-t-il une seule circonstance où la critique ne constitue pas un frein à l'action, où elle n'en entrave pas le bon développement, où elle ne conduit pas à son échec ? Contrairement à la navigation maritime, car toute métaphore a ses limites, la navigation politique est sans fin. On ne peut pas dire qu'à telle échéance, proche ni même lointaine, elle sera achevée dans le sens où l'on aurait réglé tous les problèmes, apaisé tous les conflits, satisfait toutes les revendications. La vie des sociétés ne cesse de faire apparaître des réalités complètement nouvelles et insoupçonnables quelques jours avant, parce que le travail des hommes ne cesse de produire du nouveau qui transforme et quelquefois bouleverse les données matérielles et avec celles-ci les esprits. Contrairement à la navigation maritime la navigation politique est toujours périlleuse. On ne peut pas dire que la mer est calme, et que la traversée est donc facile, car ici la navigation ne se fait pas seulement contre la mer, elle se fait aussi contre les autres navires. Et si par chance ce n'est pas contre eux mais avec eux, les difficultés n'en sont pas moindres pour autant. Or il n'y a aucun port où le navire de l'Etat pourrait se mettre en congé de navigation, remettre à plus tard la solution des problèmes. On peut se demander si contrairement à ce qu’explique Machiavel (Discours, Livre Ier, chapitre 37) en politique temporiser ne serait pas toujours aller à l'échec. Le gouvernement est donc fondé en toutes circonstances à faire taire les critiques et à s'opposer même seulement à l'examen de sa politique. " Aux fers donc l'esprit fort qui discute ; aux fers le matelot qui écoute ".

On serait tenté de se rassurer en se disant qu'il existe des tribunaux maritimes où sont jugés les capitaines qui ont perdu leur navire. Lorsque un navire est coulé, même au plus fort d'une terrible tempête, si son capitaine a la chance d'échapper à la mer, il n'échappera pas pour autant à la justice maritime. Le tribunal examinera avec beaucoup de soin les circonstances, il discutera les décisions, et peut-être rendra le capitaine responsable de la perte de la cargaison et du navire. Celle des hommes à vrai dire compte moins que celle du chargement. On serait tenté de souhaiter qu'il existe pour le navire de l'Etat de semblables tribunaux, où l'on jugerait les fautes commises dans le gouvernement. Le ministre a-t-il fait suivre à l'Etat la meilleure route, l'a-t-il armé comme il convenait, dans la rencontre du péril a-t-il manœuvré savamment ? Et singulièrement, puisqu'il s'agit ici de la vie des hommes, on aimerait juger ceux qu'on accuse de la mort injustifiée de trois, de cent, voire de dix mille d'entre eux. Au moment où écrit l'auteur, il n'a pas oublié ce qu'ont vécu les soldats de l'armée française en 1917. Un état-major incapable de comprendre la situation militaire et encore moins d'imaginer une décision efficace a ordonné à plusieurs reprises des attaques insensées, où les hommes étaient fauchés par milliers à peine avaient-ils bondi hors de la tranchée. Qui leur a demandé compte de ces hommes-là ? Et lorsque les survivants ont refusé d'obéir aux ordres qui les envoyaient à leur tour se faire tuer inutilement, le haut commandement a décidé de réprimer dans l'œuf ce qu'il tenait pour une intolérable mutinerie et ordonné de fusiller pour l'exemple des soldats, qui d'ailleurs n'étaient pas nécessairement choisis parmi ceux qui avaient désobéi. Le cinéaste Stanley Kubrick a réalisé sur cet épisode, " trois soldats irréprochables, accusés de couardise et de mutinerie, qu'on fusillait pour l'exemple ", écrit-il lui-même, un film admirable : les Sentiers de la gloire (1957). Le caporal Maupas, par exemple, issu du département de la Manche, a été exécuté dans ces conditions. Ces fusillades sont une infamie sans nom, dont on aimerait juger les coupables.

Cependant l'auteur n'a là-dessus aucune illusion. L'ouverture d'un procès à ce sujet amènerait d'abord à énoncer fermement le principe du droit à l'erreur qu'il faut reconnaître même à celui qui est compétent, et ensuite des discussions sans fin pour chercher ce qui se serait passé si ces crimes n'avaient pas eu lieu, si les officiers généraux avaient choisi une autre solution : c'est ce qu'on ne peut évidemment pas savoir. On ne peut pas refaire l'histoire. Il faut donc renoncer à demander justice des actes de gouvernement qui ont causé des morts qu'on pouvait éviter. Il est désespérant d'y penser. Parvenu à ce point de sa réflexion, Alain a fermé toutes les issues au désir du citoyen d'exercer un contrôle sur le pouvoir politique. Or c'est précisément à ce moment-là que par une sorte de renversement, sans lâcher pour autant la vieille métaphore, il montre comment ce contrôle est possible. La compétence de l'homme de métier, qui a suivi les écoles, fût-il général, ambassadeur ou contrôleur des finances, ne s'étend jamais que sur les moyens et nullement sur les fins de l'action politique.

Le capitaine du navire n'en est pas l'armateur. Or s'il appartient bien au capitaine de choisir la meilleure route possible, de faire face à la tempête et d'assurer le succès de la navigation, il ne lui appartient pourtant pas d'en déterminer la destination. De la même manière, si lourdes que soient les tâches du politicien, il ne lui revient pas de choisir une orientation politique. Le peuple doit sans doute le laisser seul juge des moyens qui lui semblent nécessaires à son action, mais il demeurera réciproquement lui-même seul juge des fins qu'il lui semble bon de viser. L'obéissance du citoyen aux pouvoirs n'est inconditionnelle que parce qu'elle ne porte pas sur ce qu'il en attend, mais seulement sur les voies à emprunter pour l'obtenir. Le tyran voudrait éliminer la discussion sur les fins, affirmant que tout le monde est d'accord pour vouloir richesse et puissance. Et sans doute aucun peuple ne veut être miséreux. Mais la question se pose aussi de hiérarchiser correctement cette fin avec une autre, qui est la justice. Le peuple veut-il encore de la richesse et de la puissance si elles ne s'obtiennent qu'au détriment de la justice ? N'est-il pas prêt au contraire à y renoncer au bénéfice de celle-ci ? Le tyran voudrait bien qu'on lui accorde les suspicions, les emprisonnements, les supplices et les massacres comme des moyens quelquefois inévitables de parvenir à la puissance.

Mais ici prend place nécessairement un débat sur le rapport des fins et des moyens. Contrairement à ce qu'on dit parfois, aucun peuple n'accepte des moyens qui déshonorent ses fins. Aucun philosophe non plus ! On attribue à Machiavel ce cynisme consistant à affirmer que la fin justifie les moyens. Mais si une lecture de ses œuvres peut donner quelque consistance à cette sordide maxime, il ne s'agit pas des Discours. Par contre dans l'analyse qu'il fait de l'action de César Borgia et de quelques autres condottieri sans scrupules, il peut effectivement désigner à l'attention de son lecteur l'usage de moyens immoraux relevant de la fourberie et de la cruauté. Cependant le Prince n'est écrit, relève Rousseau (du Contrat social, Livre III, chapitre 6) que pour mettre en garde les républicains contre l'oubli de la virtù. Si les peuples n'en ont plus, ils perdront nécessairement leur souveraineté au profit d'aventuriers qui n'en ont pas davantage. Encore Borgia n'était-il pas des pires, puisqu'il avait le sens de l'Etat. Ces remarques ne nous éloignent pas d'Alain, car ce à quoi il invite ses lecteurs n'est rien d'autre que la virtù républicaine. En quoi peut-elle consister, sinon à exprimer son refus à coup sûr des massacres, mais aussi des emprisonnements et des supplices insupportables à tout honnête homme ? Celui qui se tait devant ces pratiques, alors même qu'il ne peut les ignorer, manque précisément de virtù. C'est avec des hommes qui se taisent qu'on fait les tyrannies, c'est sur leur silence que reposent le nazisme et le stalinisme.

L'indignation, je ne dis pas in petto mais celle qui s'exprime, est d'un homme qui fait passer le bien public avant son intérêt personnel. Son intérêt personnel est peut-être de se taire, de dissimuler son jugement aux pouvoirs abusifs, et de recevoir le salaire de son silence. Mais quel est celui qui ne rougirait pas de ce choix devant ses enfants ? Quel monde leur prépare-t-il, s'il ne dit rien ? Sans la justice la puissance de l'Etat donne un certain genre de sécurité : celui qu'on a dans les prisons, nourri, logé, blanchi (cf. Rousseau, du Contrat social, Livre Ier, chapitre 2). Il a de quoi satisfaire le ventre, mais non le cœur ni la tête. Parmi les hommes tous n'acceptent pas la domination du ventre. Faisant taire non l'indignation mais la crainte, ils protestent même contre les suspicions. Il leur est intolérable que l'on traite en suspects ceux qui ont telle opinion, telle religion, telle origine. Car de la suspicion on passe bientôt à la rafle et de celle-ci à l'extermination. Sans doute est-il impossible de protester contre l'extermination sans être soi-même exterminé. Sans doute est-il malaisé de protester contre la rafle sans être soi-même raflé. Mais loin de plaider contre l'indignation et la protestation ce constat plaide au contraire en leur faveur, car ce n'est pas quand les choses en sont déjà venues au pire, que vient le temps d'en dire son refus. C'est dès le germe de la première injustice qu'il faut élever la plus ferme et la plus claire condamnation. A l'inverse la première petite compromission conduit à la seconde, plus grave, et celle-ci à une autre sans aucun espoir de voir se rompre cette dynamique impitoyable.

Il n'est pas besoin pour entraver l'injustice d'attendre une miraculeuse unanimité spontanée contre elle. Beaucoup d'hommes qui hésitent à se prononcer le feront dès lors que quelques-uns leur en auront donné l'exemple. Alain cite Socrate. Le philosophe athénien est bien connu pour n'avoir pas gardé la langue dans sa poche, pour avoir au contraire mis en difficulté tous ceux, politiciens, idéologues, prêtres, hauts fonctionnaires, etc. qui commettaient ou qui couvraient les injustices. Certes ils lui ont réglé son compte, mais qu'est-ce que ça prouve ? Certainement pas l'inutilité de la protestation : on ne se débarrasse pas du prophète s'il ne prêche que dans le désert. Si on le fait taire, c'est évidemment parce qu'il est entendu. Toutefois il faut bien dire qu’en 399 il est déjà bien tard. Socrate a fait ce qu'il était en son pouvoir de faire, mais longtemps auparavant ses concitoyens auraient dû refuser de céder aux sirènes de la démagogie. Je veux dire refuser les facilités de la politique de Périclès. Platon sur ce personnage exprime un jugement sans équivoque. Les historiens d'aujourd'hui au contraire l'encensent parce qu'il a accédé aux désirs du peuple. C'est précisément ce que Platon lui reproche, non que la voix du peuple soit méprisable, mais parce qu'il est de la responsabilité du politique de s'élever contre elle lorsque ses revendications sont injustes.

Je dis le politique et non le politicien ou l'homme d'Etat. L'homme d'Etat gouverne, c'est un technicien. Le politique intervient dans le débat populaire pour éclairer ses concitoyens. Ce n'est pas qu'il croie ses lumières supérieures à celles des autres, mais il apporte sa contribution. En ce sens tout le monde est politique, dès qu'il participe au débat. Or c'est un devoir de le faire, parce que la bonne orientation politique, celle de la justice, apparaîtra d'autant moins spontanément au peuple que les hommes d'Etat, naturellement enclins à user pour eux-mêmes du pouvoir et à le conserver, savent s'entourer d'une cour de beaux parleurs stipendiés. Les écrans de télévision et les journaux sont remplis de discours qui plaident en faveur des pouvoirs. Dira-t-on que l'opposition s'exprime elle aussi ? Mais elle est faite d'autres politiciens, qui ont déjà exercé le pouvoir, qui y ont commis les mêmes injustices et les mêmes abus, qui les commettront de nouveau quand ils y retourneront. Ce n'est pas leur démagogie qui peut contribuer au débat politique. Leurs discours tout autant que ceux du gouvernement en place visent à obtenir des citoyens une délégation de pouvoir, un blanc-seing, un abandon de souveraineté. C'est pourquoi face à tout ceux qui plaident en faveur des pouvoirs, Alain plaide contre eux. Il faut inlassablement rappeler au peuple une vérité simple, à savoir que les pouvoirs sont ses serviteurs et non ses maîtres. L'administration est une fonction, très qualifiée assurément, mais le choix de la politique à suivre ne relève pas d'elle. Elle est au contraire un instrument au service de celle-ci, déterminée par le peuple souverain, et elle doit s'y subordonner.

Je ne reviens pas sur ce que doit ce texte à Platon, qu'il évoque à plusieurs reprises. Mais je veux remarquer rapidement ce qu'il doit à Spinoza et à Rousseau. La revendications d'une entière liberté de parole jointe à une obéissance sans faille revient au premier. Au second appartient l'opposition de la souveraineté, populaire par essence, et du gouvernement, dont on attend qu'il soit l'administrateur le plus compétent possible. Voilà dans quelle mesure la philosophie politique d'Alain s'inscrit dans la lignée ouverte par ses prédécesseurs. Ce qu'elle a de neuf, c'est l'idée d'un refus obstiné du citoyen à tous les pouvoirs, arrogants par essence.

Source : Cours d'Ybes Dorion - Association les Amis d'Alain

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