Journée de la laïcité - intervention de Bariza KHIARI
Sénat- 28 Avril 2011- Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution présentée par notre collègue Claude Domeizel est une excellente initiative, et j’espère qu’elle fera l’objet d’un consensus. Mais j’en doute après les propos qui viennent d’être tenus… Chacun possède une identité propre, plurielle, dépendant de son vécu, de son histoire, de ses origines, de sa culture, de sa confession, de ses engagements. Cette pluralité fait la richesse de notre pays et, en même temps, de chacun de nous, y compris dans nos contradictions. Mais pour que cette richesse porte des fruits, pour qu’elle soit effectivement un gage de renforcement de notre pays, il faut un socle partagé, nous permettant de surmonter nos diversités et de favoriser l’échange. Tel est l’office de la laïcité, qui est le ciment de notre « vivre ensemble » et la matrice surplombant nos identités plurielles. D’aucuns ont cru devoir discuter de la loi de 1905, la modifier, du fait de comportements marginaux de certains… de certains musulmans, disons-le. Ne touchons pas à cette loi, mais, en revanche, réglons les problèmes qui se posent à la deuxième religion de France parce que sa visibilité dans l’espace public dérange, et c’est bien normal. J’observe toutefois que cela dérange aussi la très grande majorité des Français de confession musulmane. Réglons cette question de manière technique, par exemple au moyen du prêt de salles une à deux heures par semaine. Arrêtons d’en faire un sujet exploitable par l’extrême droite. Arrêtons de banaliser l’idée selon laquelle l’islam serait incompatible avec la République.Les musulmans peuvent, comme les autres, être sécularisés dans leur comportement personnel et adhérer à la laïcité sur le plan politique. Il n’est qu’à les écouter pour comprendre qu’ils sont très attachés au principe de laïcité. Ils ont bien saisi que ce principe leur permettait de pratiquer leur foi dans la sérénité. Aussi, certains seraient bien inspirés de ne pas engager de débats inutiles et dangereux sur un principe d’une profonde modernité, des débats qui ne portaient pas sur la laïcité, mais qui étaient en fait dirigés contre la laïcité, des débats qui ne portaient pas sur l’islam, mais qui étaient dirigés contre l’islam. Dépositaires, comme chaque citoyen, des valeurs laïques, les Français de confession musulmane ont refusé l’instrumentalisation de la laïcité en rejetant ce débat. Ils ont répondu avec mesure et sens des responsabilités.La véritable arme de destruction massive restera toujours l’ignorance. Ibn’Arabî, grand maître soufi, disait justement que « les hommes sont les ennemis de ce qu’ils ignorent ». La laïcité a plus besoin d’être expliquée à tous nos concitoyens que d’être débattue. Nous vivons en effet sous ce principe alors que beaucoup le connaissent mal. Cela vaut notamment pour certains enseignants, pourtant chargés de le faire appliquer au sein de l’école, mais aussi pour les hommes politiques, qui transgressent parfois ce principe sacré. Au nom d’une vision fausse de la laïcité, d’aucuns assignent des identités particularistes – hier juive, aujourd’hui musulmane – à ceux de leurs concitoyens qu’ils veulent subordonner ou exclure du corps national.Cette journée de la laïcité permettrait de rappeler qu’il s’agit d’un principe intégrateur, émancipateur et rassembleur. Il faut faire vivre ce principe. Une approche utilitariste, encore trop souvent mise en œuvre, ou incantatoire de la laïcité ne permet pas à la jeunesse de se réapproprier ce beau principe.La grille de lecture de certains, qui se situent notamment à l’extrême droite, c’est le rejet des évolutions par le métissage des pensées, des modes de vie et des identités. Notre pays ne peut se construire sur ce qu’il n’est plus. Dans une France métissée et plurielle par nature, la laïcité sera de plus en plus nécessaire parce que porteuse d’une vie commune pacifiée et d’une société où ce qui rassemble prime sur ce qui divise.
Notre modèle permet la coexistence de chacun dans la neutralité nécessaire d’un État qui a admis une fois pour toutes que la loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi.
Si nous ne voulons pas renforcer la tendance au cloisonnement entre groupes sociaux, religieux ou ethniques par des débats stériles, nous pouvons, en revanche, autour d’une journée de la laïcité, réhabiliter des lieux où les différentes confessions se rencontrent : au premier chef, l’école, où tout se joue.
Comme le disait Raymond Aron, la laïcité a cela de merveilleux qu’elle permet d’être Français, citoyen français et de rester en fidélité avec la tradition qui nous a portés.
Dans un monde troublé où la quête de sens se fait davantage jour, ce ne sont pas les religions qu’il faut combattre, c’est le pacte républicain qu’il faut rétablir, et vite, un pacte au cœur duquel se trouve la laïcité. Alors, monsieur le ministre, fêtons-la !
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