"..l’existence du caractère national, l’existence somme toute d’un peuple, est une nécessité démocratique. On peut être satisfait qu’en France, la citoyenneté soit encore liée à la nationalité. On a connu souvent des Empires autoritaires multinationaux ; a-t-on jamais vu de républiques démocratiques multinationales ?.." Raphaël Dargent, Directeur de la Revue Libres
A quoi reconnaît-on qu’on est français ? A quoi reconnaît-on qu’on n’est pas d’un autre peuple ? Comment, dès lors qu’on y parvient, est-il possible de définir l’identité de la France ? Posons-le d’entrée : il y a un lien évident entre le caractère et l’identité, entre les caractéristiques d’un peuple et les constituants d’une nation. Charles Péguy propose une méthode : il faut, selon lui, « regarder la France comme si on en était pas. » Selon la définition de Péguy, c’est donc l’étranger qui nous définirait le mieux. Soyons donc pour un temps ces étrangers. Facile à dire. Est-ce si aisé de faire abstraction de ce que justement nous sommes ? J’ai beau, avec Péguy, tenter de me convaincre que je ne suis pas français, j’ai beau essayer de m’abstraire de cette réalité, je ne puis complètement, intégralement, substantiellement me détacher de cette réalité : je suis français. Je précise : je suis français non pas seulement de nationalité, par la nationalité, parce que je suis né ici, sur ce sol, je suis français par constitution, par imprégnation, par transmission. Et j’allais dire, pour peu que nous ne vivions pas en France depuis une semaine, c’est notre lot commun, qu’on le veuille ou non, qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore. C’est là notre irréductible réalité. Au risque de contredire sur ce point Péguy, relevons donc ici ce défi de tenter de cerner le caractère français, et partant de définir l’identité de la France , alors que nous sommes, c’est ainsi, français. Il se peut que ce travail d’introspection se révèle fort utile en ces temps déprimés et de doute existentiel. Chacun aura compris que j’évacue d’emblée la question : « le caractère national, mythe ou réalité ? » Oui, je crois qu’il existe bel et bien des caractères proprement nationaux, qui au-delà de caractéristiques physiques distinctes, se révèlent à un ensemble de dispositions morales, sociologiques et psychologiques particulières qui différencient les peuples. Il suffit de passer quelques temps en Italie, en Egypte, en Inde ou en Namibie pour mesurer ce qui distinguent les peuples italien, égyptien, indien ou namibien du peuple français. Il arrive parfois, à notre grande surprise, qu’en ces contrées, parmi ces peuples, on finisse par éprouver ce qu’on appelle assez joliment « le mal du pays ». Pendant la Seconde Guerre mondiale la philosophe Simone Weil écrivait dans son exil londonien que « la réalité de la France [était] devenue sensible aux Français par l’absence. » Il se peut que nous soyons à nouveau rendu aujourd’hui à ce point funeste d’une France absente qui nous obsède. J’ajoute que l’existence du caractère national, l’existence somme toute d’un peuple, est une nécessité démocratique. On peut être satisfait qu’en France, la citoyenneté soit encore liée à la nationalité. On a connu souvent des Empires autoritaires multinationaux ; a-t-on jamais vu de républiques démocratiques multinationales ? Le libéral John Stuart Mill ne manquait pas d’affirmer qu’ « il est presque impossible d’avoir des institutions libres dans un pays formé de différentes nationalités. » Permettez cette parenthèse : c’est bien parce qu’il n’existe pas un peuple européen unique qu’il est si difficile d’établir une démocratie européenne. Rousseau ne s’y trompa pas lorsqu’il rédigea son Projet de constitution pour la Corse : « La première règle que nous ayons à suivre, c’est le caractère national : tout peuple a, ou doit avoir, un caractère national ; s’il en manquait, il faudrait commencer par le lui donner. » Ce n’est donc pas sur l’existence ou non du caractère national français et de l’identité française que portera mon intervention – existence que je considère comme réelle – mais sur les fondements de ce caractère et de cette identité, sur leurs caractéristiques essentielles et indépassables, et surtout, à l’heure de la mondialisation, non pas de leur survivance, mais de leur indispensable revivification. Ainsi Alexandre Dorna n’a-t-il pas tort d’estimer utile désormais, eu égard à la marche actuel du monde, de « déterrer le cadavre » du caractère national, tout particulièrement pour la France. Mon propos consiste justement en ce travail d’exhumation.
Première partie
Les fondements du caractère national français
Quels sont les fondements du caractère français ?
Acquis et inné
Un mot d’abord sur le concept de race, pour mieux l’évacuer au profit de celui de caractère. On attache aujourd’hui au terme de race une définition exclusivement ethnique et in fine une connotation scandaleuse qui rend le mot insupportable à nos oreilles. Pourtant le Petit Larousse est clair : une race est aussi une « catégorie de personnes ayant des inclinations communes. » En son temps, pas si lointain, Paul Valéry utilisait innocemment le mot puisque le mot était encore innocent. Paul Valéry n’était évidemment pas « raciste ». De même, lorsque, avant lui, l’historien Camille Jullian au XIXe siècle parlait de « race », il l’entendait comme un concept non pas ethnique mais psycho-sociologique, disons l’affirmation d’un tempérament commun, exactement d’un caractère. Gobineau et son inacceptable théorie d’une inégalité entre les races, et les crimes du XXe siècle, ont progressivement changé notre perception du mot. Aujourd’hui, son utilisation est jugée choquante ou au moins maladroite. Parlons donc de caractère national. Mais lorsqu’on a dit cela, on a rien dit, car il ne suffit pas de remplacer le mot « race » par l’expression « caractère national », pour évacuer en même temps l’ensemble des questions que sous-tendait le mot, questions qui restent entières. Ce caractère national est-il acquis ou inné ? Est-il le résultat d’un apprentissage ou d’un héritage ? le fruit de la culture ou de la nature ? la conséquence du vécu ou de l’hérédité ? Pour résumer, ce caractère national, puisqu’il existe, est-il lié au sol ou au sang ?Qu’il soit lié au sang me semble difficilement soutenable aujourd’hui. Pourtant si l’hérédité ne compte pas à elle seule, elle n’est certes pas quantité négligeable. Ainsi Jules Soury, professeur à la fin du XIXe siècle de psychologie physiologique à la Sorbonne , n’avait-il qu’en partie tort d’écrire lorsqu’il cherchait à définir l’hérédité psychologique que « le mort tient le vif ». Chacun peut observer, parfois avec désarroi, combien les années passant, il peut ressembler, non seulement dans les traits physiques, mais encore dans les attitudes corporelles, dans les manies, dans les dispositions mentales ou morales, à son père ou à sa mère. Croit-on que les choses soient différentes pour un peuple ? Qui peut dire que la composante proprement ethnique d’un peuple n’a rien à voir avec son caractère ? Si on en croit Alain Peyrefitte, le général de Gaulle lui-même était sensible à cet élément. « C’est très bien, disait-il, qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. » Je ne suis pas sûr que si aujourd’hui un homme politique français tenait de tels propos, celui-ci échapperait à un procès pour incitation à la haine raciale; à vrai dire je suis même sûr du contraire. Croit-on que de Gaulle, après Paul Valéry, était raciste ? Je suis volontairement provocateur, mais comprenez-le : entre l’acquis et l’inné, le choix n’est pas si simple. Lire la suite Paru dans "les cahiers de la psychologie politique"
Notre dossier du mois: "l'identité nationale" L'idée de Nation - Synthèse- Le retour du caractère national ? Alexandre Dorna; Grande nation ou petite patrie, quelle France? Raphaël Dargent ; La notion de caractère national à l'époque romantique; Robert Legros; pour ou contre la créatin d'un Ministère de l'identité nationale; Qu'est ce qu'une Nation ? (Ernest Renan-1882); La Nation de Fichte à Rénan
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